
Éric Meunié
Les yeux dans le vide
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Jean-Luc Parant dit je ne me vois pas, je ne vois pas mon visage et à la place je vois le monde. Avec mes boules j'essaie de retrouver sous mes mains l'image de mon visage que je ne vois pas. Et c'est par où Jean-Luc Parant ne se voit pas que je peux parler à sa place. Car s'il ne voit pas le côté de son œil que je vois, l'hémisphère de son œil qui proprement me regarde, il pense du côté de son œil que je ne vois pas, l'hémisphère logé dans le repli de son orbite, et dans cette nuit interne de soi, nuit intime de sa pensée, je peux me confondre avec lui.
Jean-Luc Parant travaille (depuis 1961) l'organe de projection, qui va partout, qui juge de tout, qui veut tout saisir, mais qui ne se sait pas voir, qui ne sait pas se voir. Logé dans son orbite, assis dans sa propre petite nuit, comme le bourgeois calé dans son fauteuil, l'organe est en premier lieu l'oppressante famille faite maison qui occupe les pièces du haut, qui survit dans le ciment de l'ennui, qui brode à l'infini sur des évidences, et c'est j'imagine pour s'extraire de cet ennui que le jeune Jean-Luc descend à la cave (en 1961).
On ne comprend rien à l'obsession de Jean-Luc Parant sans descendre à son tour, sans être descendu un jour soi-même aussi dans la cave, sans s'être enfermé instinctivement dans la cave d'une maison de famille pour y faire l'expérience de son origine, sans s'être approché de son trou jusqu'à risquer y tomber, l'avoir vu pour n'y jamais tomber, toute sa vie durant, autrement qu'en pensée.
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