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MANIFESTATIONS |
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Encore jeune, Udayan Vajpeyi. Avec pourtant déjà ancré en lui le souvenir de ses morts, qui le hantent car il y en eut beaucoup dans le petit cercle des proches, même la plus aimée est partie. D’où cette mémoire tatouée, à jamais. D’où ces fantômes allant et venant, errant dans ses textes parmi les éphémères, les vivants. Et, très vite, on ne sait du reste plus trop qui est qui, des présents ou des spectres, les identités se dissolvent. Au bout du compte, ici aussi, je n’est peut-être pas que moi. En fait, cet écrivain aurait pu devenir aussi bien cinéaste, il s’en est d’ailleurs fallu de peu. Ses mots ne l’ont pas oublié, on le sent, on le voit : à leurs qualités rétiniennes, leurs mouvements, leur passage en une phrase – un plan d’un lieu, d’un temps, d’un personnage à l’autre. Ceci encore : dans cette Inde si souvent pétrifiée par les archaïsmes, dans cette très ancienne culture dont il peut et comprendre et perpétuer les arcanes (ce qui est de plus en plus rare parmi les nouvelles générations, qui sont en particulier en train d’égarer le sanscrit), il s’y prend malgré tout, avec le langage, d’une façon résolument moderne. Sans le vouloir. Sans le chercher. D’une façon naturellement moderne. Et plus je le traduis (grâce à son aide), plus son style, mêlé de chagrin passionné, de brèves condensations de saveur imprévisibles et d’une étrange sorte de noblesse, affectueuse, me semble vraiment singulier. Franck André Jamme, in le ' ' ' Cahier du Refuge ' ' ' 111, novembre / décembre 2002 extrait : Père est rentré du bureau. Il y a des hommes sur la route. Dans leurs mains luisent des poignards. Père fouille maintenant dans ses papiers pour y mettre un peu d’ordre. Avant sa mort, au fond, cela arrangera tout le monde. Sur sa chemise, ce n’est pas de la poussière qui tombe, ce sont juste des mots. Là-bas, au carrefour désert, un vieil homme vend des cacahuètes tout au long de la nuit. Dans la main de mon frère, un fusil. Père lui a interdit de sortir. Sur un toit de bois du vieux quartier, un beau-frère est en train d’en finir : allongé sur le ventre, il n’arrête pas de tousser, de cracher. Caché derrière la porte, je regarde et je vois : les hommes aux poignards sont arrivés devant chez nous. Mère, la veuve, est occupée : elle prépare le repas. Les mains tremblantes de Père brillent sous l’éclat des lames. Soudain il hurle, à pleine voix. Il a vraiment peur qu’on le tue. Poignards, traduction Franck André Jamme |
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